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Entente avec Uber: l'industrie du taxi est en furie et promet une riposte

Le 08 septembre 2016 — Modifié à 00 h 00 min le 08 septembre 2016
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L'industrie du taxi est en furie à la suite de l'entente de dernière minute survenue entre le gouvernement Couillard et Uber et promet une riposte sur tous les fronts.

«Trois ministres en 30 mois pour se faire baiser de la sorte, (...) on le prend pas, ça c'est clair», s'est exclamé le porte-parole du Comité provincial de concertation et de développement de l'industrie du taxi (CPCDIT), Guy Chevrette, en conférence de presse à Québec, jeudi.

Il a promis à la fois une contestation judiciaire et un plan d'action, tout en se disant incapable de prédire jusqu'où la colère des chauffeurs de taxi pourrait aller.

«Je n'imagine pas qu'on sera capable d'arrêter les manifestations», a laissé tomber M. Chevrette, à qui les événements devaient donner raison puisque des chauffeurs de taxi ont spontanément bloqué le boulevard René-Lévesque à Québec à la hauteur du parlement dans les heures suivantes pour protester contre cette entente.

«Ça bouillonne dans l'industrie du taxi et ce n'est pas nous qui allons contrôler le monde», avait déclaré un peu plus tôt Abdallah Homsy, porte-parole du Regroupement des intermédiaires en taxi de Québec (RITQ), en entrevue avec La Presse canadienne.

Guy Chevrette est allé jusqu'à s'interroger — à plus d'une reprise — sur de possibles conflits d'intérêts au sein du gouvernement. «Qu'on ne joue pas aux hypocrites, qu'on ne joue pas aux naïfs: on a des chums, je suppose, dans la compagnie UberX», a-t-il lancé.

«M. Couillard devrait être gêné, a-t-il ajouté. Son jupon dépasse vis-à-vis l'illégalité. C'est humiliant de voir son propre gouvernement négocier avec des illégaux, avec des voleurs.»

À Montréal, le Regroupement des travailleurs autonomes Métallos a qualifié l'entente de «grande trahison», reprenant ainsi l'expression des confrères du RITQ, et son porte-parole, Benoit Jugand, y voyait surtout une décision à sens unique.

«C'est une honte de la part du premier ministre Couillard d'avoir négocié une entente tel quel sans avoir pris en compte les besoins des chauffeurs et des propriétaires de taxi du Québec», a-t-il déclaré en point de presse dans la métropole.

Les porte-parole de l'industrie estiment que l'entente est illégale puisqu'elle ne respecte même pas le délai de 20 jours prévu à la loi entre l'annonce d'un projet pilote et son entrée en vigueur.

Mais surtout, ils s'insurgent contre l'octroi de 50 000 heures à Uber, soit l'équivalent d'un ajout de 1250 permis dont la valeur, sur le marché, se situerait autour de 250 millions $.

«Moi, je dois hypothéquer une maison pour payer un (permis de) taxi à 200 000 $ et eux autres (Uber) vont payer 0,45 $ du voyage? Ça va prendre 200 ans pour payer ce que moi je paye. Elle est où l'équité là-dedans?», s'interrogeait M. Homsy.

Il en avait lui aussi contre la parade de ministres des Transports qui a donné ce résultat.

«Toute cette magouille pour amener un ministre (Laurent Lessard) qui ne connaît pas son dossier et qui signe en deux semaines une entente comme ça? C'est la destruction massive de l'industrie du taxi», a-t-il laissé tomber, dépité.

Sans surprise, la porte-parole péquiste en matière de transport, Martine Ouellet, a également dénoncé l'entente, reprochant au gouvernement libéral de «transformer la concurrence illégale en concurrence déloyale», selon ses termes.

Mme Ouellet estime que l'entente crée deux catégories de chauffeurs de taxi en permettant aux chauffeurs d'Uber de fonctionner sans permis de taxi, alors que les chauffeurs de taxi, eux, n'ont d'autre choix que de débourser de 150 000 $ à 200 000 $ pour le leur.

«De plus, le PLQ a négocié avec une multinationale qui a fait de la fraude fiscale en ne payant pas ses taxes et ses impôts. C'est navrant que le PLQ ait accepté d'aller de l'avant avec Uber sans exiger le paiement des arriérés des taxes», a-t-elle dit.

Uber prêt à être «réglementé»

Le directeur général d'Uber Québec, Jean-Nicolas Guillemette, a pour sa part indiqué par voie de communiqué que l'entreprise entend évaluer sa capacité à offrir le service selon les nouveaux paramètres du projet pilote.

M. Guillemette maintient que son entreprise offre un service de covoiturage urbain aux Québécois tout en «leur permettant d'utiliser leur voiture personnelle comme source de revenus flexible».

Il affirme également vouloir «démontrer au gouvernement que nous sommes prêts à travailler dans une industrie réglementée».

Prudent, M. Guillemette n'ose toutefois s'avancer quant à l'impact de cette entente sur ses tarifs. «Dans les jours à venir, nous serons plus aptes à comprendre les impacts de ce projet pilote sur les utilisateurs, les partenaires-chauffeurs et le transport dans nos villes», a-t-il dit.

Une autre réaction positive est venue de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), qui s'est déclarée «satisfaite qu'une entente soit intervenue».

La Fédération invite les parties à profiter du projet pilote pour «définir une formule permettant à tous les chauffeurs d'opérer à l'intérieur d'un cadre juste et équitable».

Coderre prudent

Le maire de Montréal, Denis Coderre, s'est montré très prudent, lui qui a toujours maintenu que les services d'Uber, dans leur forme originale, étaient illégaux.

«On va regarder en long et en large qu'est-ce qu'elle (l'entente) dit. Le diable est dans les détails», a-t-il fait savoir en point de presse à Montréal, tout en exposant ses réticences face à la bonne foi d'Uber.

«On a-tu le bras dans le tordeur? Parce que je ne leur fais pas nécessairement confiance du côté d'Uber», a-t-il avoué.

Le maire a ainsi répété que l'entente devait répondre aux critères qu'il défend depuis le début, soit être équitable à l'endroit des chauffeurs de taxi, que les antécédents criminels des chauffeurs d'Uber soient vérifiés, que leur voiture soit soumise à l'inspection, qu'ils aient une couverture d'assurance spécifique et, surtout, que les taxes et impôts requis soient payés par tous les acteurs.

«Je ne veux pas qu'on ait quelque chose à deux vitesses», a réitéré le maire.

Denis Coderre a dit comprendre que les chauffeurs de taxi soient insatisfaits, mais les a avertis qu'il n'aurait pas de tolérance face à d'éventuels débordements.

«Je n'accepterai jamais que des gens se fassent justice soi-même. Je leur ai dit à plusieurs reprises: ils vont m'avoir dans le chemin s'ils font ça», a-t-il lancé.

Pierre Saint-Arnaud, La Presse canadienne

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