Il n’y en a pas beaucoup, de ces hommes qui peuvent se vanter d’avoir été soldat du pape lors de la guerre défendant le Vatican, dans les années 1860. Le Lac-Saint-Jean a la chance d’en avoir un.
Son nom: Auguste-Victor Gagné.
À son retour dans la région après le conflit, l’homme fut accueilli en héros. Cumulant par la suite des fonctions publiques importantes, il fut même décoré par le Pape Benoît XV, en 1915. Auguste-Victor Gagné fut un homme respecté et respectable de son époque.
Dans son cas, le terme patriarche n’est absolument pas exagéré pour le définir.
Cette semaine, dans votre chronique, nous suivrons la vie d’un être d’exception.
Une guerre lointaine, dans l’espace et dans le temps
Difficile, en 2018, de vous demander de ressentir une quelconque émotion envers une guerre s’étant passée il y a près de cent cinquante ans, et qui, au surplus, n’a pas dépassé les frontières de l’Italie. Ce conflit, à saveur toute religieuse, a pourtant eu un fort retentissement au Québec. Tellement que c’est plusieurs centaines de Canadiens-Français qui y participèrent, le tout, volontairement.
Cette participation plutôt étrange à une guerre qui ne nous menaçait en rien, cache une joute politico-religieuse qui elle, se jouait bel et bien au Québec à cette époque.
Le contexte en quelques lignes
À la fin des années 1850, ce que nous appelons aujourd’hui l’Italie est en crise. Cette région porte alors le nom d’Italie mais n’est en fait qu’un regroupement hétéroclite de duchés, petits royaumes, et états indépendants, dont le Saint-Siège du Vatican.
C’est par les armes, et à la suite de divers conflits internes et externes que le désir d’une Italie unifiée apparaît, menaçant ainsi l’État du Saint-Siège, qui veut conserver son indépendance. Toutefois, l’armée du Saint-Siège ne fait simplement pas le poids numériquement contre les assaillants.
Début 1860, l’idée de créer une milice papale pour protéger le petit État est adoptée. C’est ainsi que plusieurs volontaires du monde voleront au secours du pape Pie IX, afin de tenter de conserver le Vatican.
Tout cela est encore bien loin du Lac-Saint-Jean, sauf qu’ici au Québec, le clergé se sent de plus en plus menacé par un courant libéral.
Se trouver une cause afin de galvaniser le conservatisme religieux
Le clergé québécois se retrouve alors dans une situation où il doit combattre ce courant libéral, au même moment où ce que nous pourrions appeler sa maison mère, est menacée de simplement disparaître.
Notre clergé se servira du conflit en Italie pour tenter de regrouper les citoyens derrière la cause papale, au nom de la conservation de l’intégrité de l’Église.
À force d’insistance, le clergé d’ici obtient toutes les autorisations nécessaires, de la part de Rome et nos autorités, afin d’envoyer des volontaires combattre en Italie. Ce nouveau bataillon se nommera Les Zouaves Pontificaux .
Source: Wikipédia
Autrement dit, c’est l’armée personnelle du Pape qui, en théorie, participera à défendre le Saint-Siège.
Le premier Canadien à rejoindre cette milice sera Benjamin Testard de Montigny, en 1861. Toutefois, il faudra attendre jusqu’en 1867, avec l’annonce qu’un zouave canadien a été blessé lors d’une bataille, pour susciter un réel intérêt de la part de plusieurs.
En 1868, c’est près de quatre cents volontaires d’ici qui partiront en guerre en Italie, dont, vous l’aurez deviné, Auguste-Victor Gagné.
Auguste-Victor Gagné
Auguste Victor Gagné nait à l’Ilet en 1850. Il est fils de cultivateur, mais tout un cultivateur! En effet, le père d’Auguste Gagné, Calixte Gagné, est l’un des patriotes de 1837-1838.
Si nous ne connaissons pas exactement les circonstances qui le poussèrent à devenir volontaire dans le bataillon des Zouaves Pontificaux, nous pouvons affirmer, par simple mathématique, qu’il était alors encore très jeune, soit 18 ou 19 ans.
Vers l’Italie
À la fin des années 1860, quitter pour l’Europe est encore une aventure incertaine. En avril 1868, un groupe de futurs combattants du Québec quittent pour l’Italie. Après une première escale à Portland, États-Unis, ils montent à bord d’un steamer qui les mènera à Liverpool, Angleterre. Il faudra deux semaines de mer houleuse pour s’y rendre. Prochaine escale: Dieppe, en France, ensuite on doit prendre le train pour Rouen, puis Marseille.
Trois semaines après le départ de Québec, on doit prendre un autre bateau pour traverser la Méditerranée. Après quelques autres arrêts, l’Italie enfin, et le camp de base des soldats.
À l’arrivée
Sur place, déjà, plusieurs compatriotes québécois. Ceux-ci, trop heureux de voir des leurs arrivée, s’empressent d’aller à leur rencontre pour demander des nouvelles du pays. Nouvelles qui datent déjà d’un mois, mais ô combien appréciées!
L’engagement
Lors de son engagement officiel, le jeune Auguste-Victor Gagné doit, comme les autres, prononcer le serment du bataillon. Le voici, intégralement:
« Je jure à Dieu Tout-Puissant d’être obéissant et fidèle. À mon souverain, le Pontife Romain, Notre Très Saint Père le Pape Pie IX, et à ses légitimes successeurs. Je jure de le servir avec honneur et fidélité et de sacrifier ma vie même pour la défense de sa personnalité auguste et sacrée, pour le maintien de sa souveraineté et pour le maintien de ses droits. »
Source: Gravure, BAnQ
Les journées dans la vie du soldat Gagné
Si la première partie d’une journée type se résumait surtout à de l’entrainement et maintenir en bon ordre du camp, le rôle des Zouaves Pontificaux en était surtout un de maintien de l’ordre dans les villes environnantes. Il arriva à quelques reprises que les zouaves durent tuer des brigands.
En juillet 1868, tous se déplacèrent dans un camp à Rome pour recevoir le Pape Pie IX en personne, venu encourager ses troupes.
Source: Texte de Mme Myriam Gilbert, BAnQ Saguenay
Quelques mois plus tard, les soldats canadiens sont dispersés en petits groupes un peu partout dans le territoire à défendre. La situation stable, mais tendu, connaîtra son dénouement à la fin de 1870.
La bataille finale
Le 20 septembre 1870, la situation est maintenant désespérée pour le Pape et ses troupes. Tous, incluant Auguste-Victor Gagné, sont à Rome pour défendre ce qui reste du Saint-Siège. Devant eux, entre 70 000 et 80 000 combattants. Le Pape, lui, ne peut compter que sur 13 000 soldats, dont 3 000 de ses zouaves.
La motivation divine a beau être au rendez-vous, le combat était perdu d’avance.
Source: Gravure, BAnQ
Dès les premiers coups de canon, des Zouaves sont touchés mortellement. Voulant sans doute éviter un bain de sang épouvantable, le Pape Pie IX demande l’arrêt des combats, et se déclare vaincu. Plusieurs zouaves ne sont pas heureux de cette situation. Ils étaient là pour se battre, et mourir, si nécessaire.
Malgré tout, ce court combat fit seize décès et 58 blessés chez les Zouaves, et plusieurs furent fait prisonnier, dont Auguste-Victor Gagné…
Le prisonnier Gagné
Selon une note biographique, « Il fut fait prisonnier à la porte de Pia à la suite d’un combat sanglant », « Il s’est battu avec énergie et courage. »
Source: Wikipédia
Auguste-Victor Gagné fut quitte pour deux jours de cachot, mais ce n’est qu’après plusieurs mois d’épreuves de toutes sortes qu’il put enfin revenir au Québec.
Retour au Québec, et établissement au Lac-Saint-Jean
Le retour au Québec fût triomphant pour les combattants. Chacun fût accueilli en héros, adulé et respecté le reste de leur vie. Ils faisaient partie d’une classe à part de la société.
Auguste-Victor Gagné, après son retour, choisira le Lac-Saint-Jean comme terre d’asile. En 1871, auréolé par son passé de combattant de Dieu, il se fera rapidement une place dans notre région qui, à ce moment, était encore naissante.
En janvier 1876, il épousa Euphémie Régnier, à Saint-Jérôme (Métabetchouan). Le couple aura plus de treize enfants. Fait remarquable, Mme Régnier est également fille de patriote. Son père fait même partie des prisonniers de la bataille de Saint-Eustache.
Source: Wikipédia.
Entre-temps, Victor-Auguste Gagné est élu maire de Saint-Jérôme, et il demeurera à ce poste pendant plus de vingt-trois ans. Il a également été préfet de comté pendant sept ans.
Source: Wikipédia.
Fondation de Bienheureuse-Jeanne-d’Arc
En 1909, Victor-Auguste Gagné achète ce qui est sans doute le plus beau domaine agricole de la région à ce moment. Il s’agit de la pointe complète de la Pointe-Taillon. Il s’y installera, avec sa famille, en 1912. Il a alors 63 ans.
Source: Saguenayensia, avril-juin 1997.
Victor-Auguste gagné participera donc activement à la création, en 1916, de ce village aujourd’hui disparu.
Décoré par le Pape en 1915!
1915 restera une date marquante pour lui, sa famille, et toute la région. Pour son sacrifice et son service auprès de la Papauté comme Zouave Pontificale, le Pape Benoit XV le fera Chevalier de Saint-Grégoire-le-Grand.
Source: Société historique du Saguenay, P2-S7-P08560-2
L’été suivant, une fête monstre est organisée à la Pointe-Taillon pour célébrer l’événement. Devenu un digne patriarche de la région, sa force tranquille sera admirablement décrite par cette note biographique à son sujet:
« Il était un patriarche beau à voir, encore plus beau à entendre. Il possédait l’ensemble des qualités physiques, intellectuelles, et morales de notre bonne race canadienne-française entretenue dans une atmosphère de travail et de religion. »
Source: Société historique du Saguenay, P2-S7-P10385-3
Décès
Forcé, comme les autres habitants, de quitte le village de Bienheureuse-Jeanne-d’Arc à la suite des inondations de 1926-1928, Auguste-Victor Gagné ira terminer ses jours chez l’un de ses fils dans le village voisin de Mistassini.
C’est à cet endroit qu’il décèdera paisiblement, le 7 février 1934, à l’âge vénérable pour l’époque de 83 ans.
Source: Journal Le Colon
Respecté de tous, Auguste-Victor Gagné a été, à une époque qu’il nous est difficile aujourd’hui d’imaginer, une référence pour ses proches et les autorités. Son aura s’étendait à la région entière. Homme de son temps, il aura été un sage qui n’avait pas peur de l’action.
Source: BAnQ
Auguste-Victor Gagné est une autre de ces personnes de la région qui, de par sa droiture et ses convictions profondes, a participé, et ce à tous les niveaux, à construire ce que nous sommes aujourd’hui.
Site Internet Saguenay-Lac-Saint-Jean histoire et découvertes historiques:
https://slsjhistoire.com/
Christian Tremblay, chroniqueur historique
honneur et tradition