Un violon de la région réduit au silence depuis près de cent ans reprend vie!
La semaine dernière, nous avons exploré ensemble L’histoire d’Achille Moreau, sa femme Eudoxie, et évidemment, nous avons introduit son violon dans l’histoire. Si vous n’avez pas lu cette chronique, je vous conseille d’aller y faire un tour, de la partager, et de revenir ici, puisque cette semaine, l’aventure continue avec cette-fois le violon comme vedette!
Je vous le disais, le fait de faire revivre un violon pratiquement oublié depuis les années 1930 n’est pas banal. Si vous me trouvez un autre exemple de ce genre dans notre histoire, je veux le connaître.
Pourquoi s’émouvoir?
Si vous êtes déjà amateur de cet instrument de musique, je n’ai pas à vous convaincre de quoi que ce soit. Pour les autres, je ne peux vous forcer à aimer, mais je peux au moins vous faire voir cela d’un angle différent.
Au-delà du violon comme tel, il y a tout le symbolisme derrière. Vous pouvez ne pas aimer le son d’un violon, c’est votre stricte liberté, mais nonobstant cela, il faut savoir reconnaître ce qu’il a représenté pour nos ancêtres.
Le fait de pouvoir, plus de cent ans plus tard, entendre exactement le son qui a été si important pour nos bâtisseurs devrait nous faire oublier, l’espace de quelques minutes, notre sentiment personnel envers l’instrument.
Et c’est exactement ce que vous allez vivre cette semaine…
Un bond de cent ans
Quittons maintenant Achille Moreau et Eudoxie Bouchard pour faire un grand bond de plus d’un siècle. Plus précisément, la semaine du 28 mai dernier, il y aura bientôt un an. Cette semaine-là, votre chronique historique s’intitule Au Lac-St-Jean : 150 ans de musique dans nos familles! Ce texte traitait de nos musiciens amateurs d’autrefois. À la suite de sa publication, tout se passait bien, jusqu’à ce que ça se passe encore mieux…
À l’époque, je ne connaissais ni Achille Moreau, pas plus que sa femme. Dans les heures suivantes la publication de la chronique, je reçois un message d’une dame, Nancy Beaulieu, résidente de Saint-Stanislas:
« C’est plaisant de voir la photo de mes arrière-grands-parents, Ovide Moreau et Anna Imbeault, effectivement il jouait du violon dans les veillées et mon grand-père Joseph lui a succédé, J’ai le violon de Ovide qui lui venait de son père Achille. »
C’est à ce moment précis que j’apprends l’existence du violon, celui d’Achille Moreau, qui, de surcroit, avait survécu à plus d’un siècle et était resté dans cette famille de génération en génération jusqu’à aujourd’hui!
À la suite de ce message, j’ai demandé à Madame Beaulieu, qui est donc la petite-petite-petite-fille d’Achille Moreau, de m’envoyer une photographie du fameux violon, si elle le voulait bien. Avec la photographie, une note explicative, qui me déçut sur le coup…
En effet, Madame Beaulieu m’expliqua que le violon ne jouait plus depuis des lunes, car trop abimé. Elle continua en me mentionnant que dans les années 1930, son grand-père, Joseph Moreau, l’avait prêté à un ami pour une veillée. Malheureusement, une personne s’était assise dessus dans la carriole, le brisant définitivement. Depuis, il n’avait jamais rejoué, mais son grand-père l’avait donné à sa mère, et que sa mère le lui avait donné à son tour.
Depuis tout ce temps, il était entreposé dans un coin comme souvenir familial, mais rien de plus…
Question de se ramasser un peu, nous allons résumer tout cela.
Ainsi donc, bien caché, la région avait dans ses terres un violon de près de cent cinquante ans d’âge, et qui n’avait pas joué depuis peut-être quatre-vingt-dix ans.
Ce violon, acheté au départ par le violoneux Achille Moreau, avait été donné à son fils Ovide Moreau. Ovide Moreau, également violoneux de son temps, travaillait pour les Pères Trappistes. Par la suite, Ovide le céda à un autre de ses fils, Joseph Moreau, également violoneux. Une fois brisé, Joseph le donna à sa fille, qui, elle, le confia à Nancy Beaulieu, arrière-arrière-arrière-petite-fille d’Achille Moreau.
Source: courtoisie Nancy Beaulieu
Nous avions donc affaire à une petite dynastie de violoneux de la région qui avait utilisé le même violon jusqu’à un malheureux incident.
Et, depuis près de cent ans, silence. Sauf si!
Dans la vie, il faut oser
Pour continuer ma petite histoire avec Madame Beaulieu, et à la suite de la réception de la photographie de son violon brisé, j’osai poser la question à savoir s’il était réparable, selon elle.
En tant que profane comme moi, Madame Beaulieu me mentionna qu’elle l’ignorait, mais que depuis longtemps elle avait le goût d’à tout le moins le faire évaluer pour connaître exactement ce qui en était. De mon côté, je le trouvais pas si pire que ça , mais je suis loin d’être spécialiste en réparation de violon.
Source: inconnue, image de 1872
Finalement, après quelques discussions, Madame Beaulieu fit évaluer le violon d’Achille, Ovide et Joseph Moreau, à savoir si dans un premier temps il était réparable, et si oui, l’enjeu monétaire que ça impliquait.
À la suite de cette évaluation (nous étions alors au début de l’automne dernier), Madame Beaulieu m’annonça qu’il était réparable, et qu’elle allait le faire remettre sur les rails!
Source: courtoisie Nancy Beaulieu
Déjà, et si ça n’avait été que cela, ça aurait été merveilleux. Ce n’est pas tous les jours qu’après un siècle de silence un instrument qui a servi à trois générations de violoneux entre 1875 et 1930 ressuscite. D’autant que ce violon n’a jamais quitté le Lac-Saint-Jean. Si l’objet comme tel appartient de droit à Madame Beaulieu, son héritage historique, lui, rayonne dans toute la région.
Voilà, Madame Beaulieu, que je remercie sincèrement, avait fait son bout de chemin pour le faire revivre.
Mais tant qu’à faire revivre un tel trésor, aussi bien le faire connaître. Et ça, c’était mon bout à moi…
Source: courtoisie Nancy Beaulieu
Trouver un violoniste
Les personnes qui sont dans mes contacts Facebook perso se souviendront peut-être avoir vu passer cet automne une demande de ma part concernant la recherche d’un violoniste professionnel capable de jouer autant de la musique classique que de la musique traditionnelle. Message neutre et sans détail. Maintenant, vous savez pourquoi.
Car pour le faire rejouer, je voulais faire les choses correctement. L’occasion, et la nature de toute l’histoire l’imposait, tout simplement. Pas question de faire un enregistrement amateur tout croche.
Finalement, j’ai été mis en contact avec le violoniste Sébastien Savard, résident de Roberval. J’ai communiqué avec lui, lui ai expliqué le tout et c’est avec plaisir qu’il a accepté d’être celui qui allait le premier rejouer de ce violon depuis les années 1930.
C’est à la fin de l’automne dernier que Nancy Beaulieu a confié à Sébastien Savard son précieux violon pour que celui-ci enregistre ses premiers airs version d’aujourd’hui.
On fait jouer quoi à ce violon centenaire?
Dans le mandat que j’ai donné à Sébastien Savard, deux choses: premièrement un air folklorique, pour avoir une idée de comment ce violon jouait à l’époque. Ceci avait pour but de nous mettre dans l’ambiance du temps, et de vraiment le faire revivre.
Seconde chose: un air plus moderne. Je trouvais intéressant de pouvoir l’écouter avec quelque chose de complètement inconnu pour lui.
Sébastien Savard
Mais à tout seigneur, tout honneur. Qui est celui qui a redonné vie au violon d’Achille, Ovide et Joseph Moreau?
« Sébastien Savard est la combinaison entre un violoniste multi-instrumentiste, un compositeur et un artiste de cirque. Il est le prototype même de l’artiste multidisciplinaire. Son originalité et sa présence sur scène font de lui ce qu’il est aujourd’hui comme artiste. Durant son adolescence, il était déjà actif sur la scène de la musique québécoise avec Mario Pelchat, Québecissime…C’est en 2002 que Sébastien fut découvert par le Cirque Du Soleil. Depuis, il a joué près de 4000 spectacles, dans plus d’une vingtaine de pays avec les spectacles Quidam (2002-2008), Ovo (2009-2014) et Corteo (2014).
Il a fait des apparitions dans de grands réseaux de télévision aux États-Unis comme the Tonight show with Jay Leno, il a aussi joué au Opera House de Sydney lors du Helpmann award. Sébastien a fait la première page du prestigieux magazine STRINGS MAGAZINE en 2010. »
Source: page officielle Sébastien Savard
En résumé, il ne pouvait y avoir mieux. Un violonistre professionnel de la région au cv impressionnant.
Crédit photo: Mélanie Saint-Germain, artiste interdisciplinaire
Maintenant, place à la musique
Quitte à paraître insistant, je veux rappeler que ce que vous allez entendre n’est pas commun, dans le sens où, vous aurez beau chercher dans notre histoire, vous ne trouverez pas de violon qui, après une carrière dans les années 1800 et début des années 1900, a été réduit au silence pendant près de cent ans avant de renaître.
Vous aurez aussi remarqué qu’en aucune occasion il a été question lors de ces chroniques de la valeur monétaire de ce violon. La raison est assez simple: ça n’a absolument aucun intérêt en ce qui me concerne.
Voilà donc ce moment où, vous avez l’occasion d’écouter le violon d’Achille Moreau (n1840), Ovide Moreau (n1880) , et Joseph Moreau (n1902):
Reel du rossignol
Reel en ré
L’hymne à l’amour
Ce qu’en a pensé notre artiste
Évidemment, pas question de ne pas demander l’avis de Sébastien Savard à la suite de son expérience avec l’instrument. Il en a vu passer des violons dans sa vie et il était important de connaître ses impressions.
Voici ce qu’il en pense:
« Le violon, au premier coup d’œil, a une belle personnalité. On sait qu’on a pas à faire à un violon
chinois fabriqué à la chaîne. En aucun cas j’ai voulu modifier quoi que ce soit sur le violon. En ouvrant la boîte j’ai constaté qu’il manquait la mentonnière. Je savais que sans ce précieux morceau je devais ajuster ma technique. J’ai dû livrer un combat avec les chevilles d’ajustement qui ne cessaient de faire baisser la corde. L’heure était venue de sortir le tournevis pour améliorer le sort des chevilles.
Ensuite, j’ai pris le violon et joué par instinct un vieux folklore québécois. Pourquoi? Parce que le violon a dû en jouer une bonne pelleté, de reels.
L’attaque était précise et le son avait une rondeur qui ne demandait que d’être enfin joué. Après quelques minutes, je me sentais bien réchauffé pour jouer d’autres styles. Du classique, de la chanson française, de vieilles chansons italiennes, de la musique brésilienne…
J’ai entendu le violon vibrer dans plusieurs styles. Ce violon a une âme qui crie pour être jouée. Elle ne demande que de l’attention. La maturité du violon pourra ainsi s’exprimer et vivre à son plein potentiel.
Je remets le violon dans sa boîte et souhaite que quelqu’un puisse la rouvrir pour en jouer avant les cent prochaines années. »
Source : Société d’histoire et de généalogie Maria-Chapdelaine, P336 Fonds Gaston Coulombe
Les sentiments de Nancy Beaulieu
L’autre personne importante dans ce bel événement est évidemment Nancy Beaulieu. Sans cette gardienne de la mémoire de ses ancêtres, et sans sa motivation et grande collaboration, le violon serait encore au fond de sa boîte, ignoré de tous.
Voici ses premières impressions à la suite de l’écoute des airs de Sébastien Savard. Nous comprenons très bien que pour elle, tout ceci est un moment unique et que la charge émotive n’a pas de commune mesure avec la nôtre.
« Premièrement, j’en ai eu la chair de poule, je m’imaginais mon grand-père (Joseph) en train de jouer, parce que je ne l’ai jamais entendu malheureusement… Ma mère m’avait raconté qu’il était demandé pour jouer dans les veillées, donc comme j’ai mentionné plus haut, je l’imaginais en train de jouer des rigodons et faire danser le monde. J’étais très ému et je le suis encore, j’aimais beaucoup mon grand-père Moreau, je vous écris avec la larme à l’oeil.
Et que ce soit Sébastien Savard qui l’a fait revivre en plus, je ne pouvais pas demander mieux, vous avez choisi le meilleur. »
Que dire de plus?
En terminant
Pourquoi avoir fait tout cela? Parce que l’histoire de notre région n’est pas un vieux truc poussièreux. Elle vit et sait encore aujourd’hui nous amener ailleurs.
Le violon d’Achille Moreau, simple colon et violoneux, raisonne de nouveau dans la tête de tous les descendants de ces premiers occupants.
Espérons que ce n’est pas la dernière fois!
Page Facebook Saguenay et Lac-Saint-Jean histoire et découvertes historiques:
https://www.facebook.com/histoirelacstjean/
Christian Tremblay, chroniqueur historique
Remerciements
– Nancy Beaulieu, pour tous les détails donnés au sujet de sa famille, et évidemment, sa collaboration. Sans elle, rien n’aurait été possible.
– Sébastien Savard, pour avoir si brillamment fait revivre ce violon. Nous n’aurions pu espérer mieux!
– Patrick Girard, luthier de Dolbeau-Mistassini, qui a habilement réparé le violon.
– L’équipe de la Société historique et généalogique Maria-Chapdelaine, en particulier Frédérique Fradet, pour les recherches.
– Christian Roberge, pour m’avoir conseillé notre violoniste!
Sources:
– Livre Une merveilleuse odyssée, tome VI, A. Daniel. Plusieurs témoignages.
– Frédérique Fradet. Dolbeau-Mistassini dans tous ses sens, Société d’histoire et de généalogie Maria-Chapdelaine
– Généanet.com
Malheureusement les clips sonores ne fonctionnent pas .
Merci! Très intéressant!
Merci! Très intéressant!