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Sports

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Le croquet sous la neige

Le 19 novembre 2014 — Modifié à 00 h 00 min le 19 novembre 2014
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Nous sommes le 4 novembre 2014 en début d’après-midi, Raymond Fleury et Omer Larouche, 83 ans, se présentent comme à l’habitude aux terrains de croquet du secteur Naudville à Alma et ce, même si une certaine froideur tend à nous faire grelotter un peu, y a de la pluie ou de la neige dans l’air...

Il n’y manque que Florent Girard, également âgé de 83 ans; une blessure au genou droit l’empêche de pratiquer son loisir préféré. Nous serons cependant 4 joueurs, Paul Desbiens, qui à l’air de jeunot malgré ses 76 ans et que je surnomme amicalement le « chirurgien » du croquet tellement son jeu est précis, se présente avec un large sourire et le regard de Raymond Fleury, retraité d’Alcan, s’illumine comme un enfant qui s’apprête à faire son premier tour de vélo. Le plaisir est sain en cet après-midi frisquet d’automne, nous sommes 4 joueurs de même force et les stratégies seront raffinées; Raymond et Paul sont de fins stratèges du croquet et de fiers compétiteurs. Omer Larouche a le don de faire le tour d’un coup, il parle peu et demeure constamment concentré sur le jeu.

Mais il ne fait que 3 degrés Celsius, je gèle des oreilles et j’ai 47 ans. Raymond Fleury et Omer Larouche, qui en ont 83, ne ressentent pas ce froid, ni l’humidité.

L’été, il y a plus de joueurs, mais surtout âgés. Quelques-uns sont dans la cinquantaine, mais généralement dans le secteur Naudville à Alma, les joueurs ont 65 ans et plus. J’aimerais qu’il y ait des joueurs de ma génération, dans la trentaine, quarantaine et cinquantaine. En fait, à 47 ans, je suis le plus jeune de la trentaine de joueurs qui viennent surtout l’été.

Cependant, je ne me sens pas l’écart de cette génération de personnes trop attachantes qui m’ont fait redécouvrir le croquet après une pause de 25 ans. Je m’ennuie néanmoins de la présence de Florent Girard qui doit soigner son mal au genou avant de reprendre son maillet en 2015, nous l’espérons!

Florent Girard est un savant raconteur. Il faut souvent le ramener au jeu tellement il aime raconter des tranches de sa vie. Cet homme passionné d’aviation ne peut s’empêcher, en voyant un Cessna voler dans le ciel et pour avoir piloté de genre d’appareil dans les années 70 et 80, de nous raconter comment le 4 août 1974, un dimanche, il avait défié un ciel orageux pour atterrir en douceur avec des vents contraires à l’aéroport d’Alma et que la veille, un samedi 3 août, il avait transporté des parachutistes d’Alma, dont un avait fait son premier saut.

Avec poésie et justesse, M. Girard est un livre d’histoire ambulant et ouvert. J’aime comment il me raconte l’époque de l’après-guerre à Alma, alors qu’il avait 14 ou 15 ans ou certains faits historiques concernant la région avec justesse et poésie. Ce que Google ne pourra jamais me transmettre comme émotion, nos aînés ont vécu des réalités que seuls eux peuvent nous raconter avec une réelle émotion. On devrait davantage les écouter et surtout les respecter, nos ainés sont une mine d’informations vivantes et ressenties.

Florent Girard m’a d’ailleurs ouvert les yeux sur la solidarité des années difficiles de la guerre ou les gens devaient s’aider pour survivre. Des liens beaucoup plus serrés s’établissaient à une époque où on allait vérifier si le voisin avait de quoi nourrir ses 9 enfants. On allait porter les surplus d’un souper chez une famille infortunée sans s’inquiéter des jugements et surtout, sans passer par le virtuel… On prenait le temps de jaser, sans clavier ni ordinateur ou tablette, mais les émotions des contacts humains, dans la détresse ou la joie, demeuraient toujours réelles, vraies et ressenties, ce que le virtuel ne pourra jamais rendre.

Le problème, c’est que les technologies sont allées trop vite et nous ont coupés du « dehors », des vrais contacts humains, de notre voisin. Je me sens privilégié d’avoir rencontré ces hommes riches d’expériences et de cœur et de cette manière qu’ils ont de me partager une vie en dehors du monde virtuel.

Alors que ma génération sacrifie son temps devant les écrans d’ordinateurs et téléviseurs en se gavant de nouvelles technologies, mes amis du croquet connaissent à peine l’informatique et encore moins le phénomène si accaparant de ces nouvelles technologies que sont réseaux sociaux, téléphones intelligents et leurs applications mobiles, enregistreurs HD, tablettes, jeux vidéo, etc. Non, ils ne sont pas esclaves de ces technologies, ils vont jouer dehors!

Je ne suis pas mieux que ma génération, pour avoir passé trop de temps devant mon écran d’ordinateur dans les années 2000 à l’époque de Caramail et MSN les soirs d’automne et d’hiver au lieu d’aller jouer dehors ou juste marcher, prendre l’air; ça doit être pour ça que je gèle des oreilles à 3 degrés Celsius! C’est le mal de ma génération de geler des oreilles, il fait toujours trop froid dehors pour y faire quoi que ce soit, on gèle de partout à cause d’un petit vent nordet. On est mieux de rester au chaud à la maison avec toutes ces technologies qui nous hypnotisent, dont l’Internet qui nous coupe des autres et de la santé. On prend nos autos le chauffage à fond pour aller chercher une pinte de lait au dépanneur à 300 mètres de la maison pour revenir se pavaner sur Facebook! C’est la triste réalité.

Et nos enfants dans tout ça? Certains soirs d’automne, quand j’arpente les rues de mon enfance à vélo, les rues d’Alma sont désertes. On dirait que les autorités de la ville ont émis un couvre- feu en début de soirée. Je repense aux années 70 quand les rues étaient bondées d’enfants jouant dans les rues, au hockey ou à la cachette, et que l’on avait de la misère à faire revenir à la maison à 20h00. Les parents devaient souvent sortir aller chercher les enfants retardataires, ce qui ironiquement, leur faisait prendre l’air et certains prenaient le temps de jouer un peu…

Nos enfants grandissent en passant un nombre d’heures hebdomadaires incalculables sur les jeux vidéo qui sont souvent violents et débilitants. Et que dire de cette tangente des réseaux sociaux. Déjà habilitée à l’usage de l’Internet, ma génération a été séduite par ces médiums qui permettent maintenant l’étalement virtuel de notre égo. Quelle vitrine sur le monde qu’offre notamment Facebook! Téléchargement de photos de la famille; parfait dernier voyage, parfaite épouse, parfaite profession, parfaite pelouse, parfait patio, parfait petit chien et chat, parfaits enfants, etc. C’est une réalité trompeuse. On ne parlera pas des problèmes de drogue du plus vieux ou de l’échec en mathématique du plus jeune…

Facebook est accaparent, on perd un temps considérable hebdomadairement à consulter sa page pour découvrir finalement que le beau-frère à publier la photo de sa nouvelle tondeuse et que la cousine que l’on a pas vue depuis 15 ans a changé sa photo de profil. Et que dire de la pub en marge : « meet a rich single woman near Alma! ». Ben sur, on vend du rêve à crédit! Et je ne parlerai pas de la tribune d’intimidation qui est trop facilement accessible sur ce réseau sans filtre.

Internet demeure une énorme source d’informations pertinentes dont la majorité des sources est crédible, dont les médias électroniques. Mais en ce 4 novembre, j’arrive à la maison après une bonne et saine partie de croquet, Il faut que j’ouvre mon ordinateur pour aller voir si j’ai des nouvelles notifications de mes « nombreux amis » sur Facebook.

Pendant ce temps là, Raymond Fleury, Omer Larouche et Paul Desbiens racontent à leur femme leur après-midi de croquet tout en aidant pour le souper et le ménage. Ils n’ont pas ce réflexe que l’on a tous d’ouvrir automatique l’ordinateur en arrivant à la maison et d’aller voir nos courriels et le mouvement sur les réseaux sociaux.

Ils font des choses pratiques loin du monde virtuel alors que moi, dans ma solitude bien ressentie et ce malgré mes 52 amis virtuels sur Facebook, j’apprends sur la page d’un ancien collègue de travail que celui-ci a finalement réussi à identifier le petit chien qui vient régulièrement faire ses besoins sur son terrain et mieux encor e, qu’il a réussi à le filmer en pleine action! Il est question du petit chien de son 4e voisin et d’éventuelles poursuites à son endroit. Pas le petit chien, mais son propriétaire irresponsable, faut-il préciser…

Ouf ou wouf, ça fait dur. Pendant que je perds encore mon temps comme dépendant des idioties qui se véhiculent sur les réseaux sociaux, Raymond, Omer et Paul ont aidé leur femme à vider le lave –vaisselle et à passer un coup de balai.

Plus triste encore est de penser que les enfants et ados aujourd’hui sont intoxiqués par l’internet et les des jeux vidéo et qu’ils ne vont plus dehors jouer…

Je suis vraiment nostalgique de la période d’avant les jeux vidéo, la multiplication des canaux de télévision et Internet. À l’époque ou les jeunes et moins jeunes allaient jouer dehors, parce que l’on avait que ça, mais on avait tout : on avait la santé et de vrais contacts humains!

Longue vie à Raymond Fleury, Florent Girard et Omer Larouche, 83 ans, les trois ainés du croquet à Naudville et merci de me garder connecté à la vraie vie, à l’air pur et les véritables contacts humains.

Entretemps, nous espérons un mois de novembre doux pour étirer au maximum notre saison de croquet, mais en ce 4 novembre 2014, nous terminons la 3e partie sous la neige. Les passants nous trouvent à moitié fous de jouer encore à cette date et par ce temps, mais voilà, nous avons les poumons remplis d’air frais et c’est avec un peu de tristesse que nous terminerons probablement la saison aujourd’hui; la météo annonce un mois de novembre froid.

Alors, invitation à tous les joueurs de croquet, jeunes ou de ma génération à venir jouer à Naudville l’année prochaine dès la fonte des neiges.

J’en profite pour souligner l’effort de la ville d’Alma à bien entretenir le site où sont situés les 2 jeux de croquet dans le secteur de Naudville. Les employés ont installé de nouvelles bandes en juin et leur travail est parfait. Nous avons l’eau, une toilette, tout l’équipement nécessaire à l’entretien des jeux et la pleine collaboration des services des loisirs de la ville d’Alma, dont le coordonnateur aux équipements, parcs et événements, M. Christian Briand. Un gros merci, ça fait le plaisir de nos ainés adeptes du croquet, du mien et des plus jeunes éventuellement que j’espère revoir un jour jouer dehors…

Éric Comeau, Alma

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