Mercredi, 30 octobre 2024

Chroniques

Temps de lecture : 2 min 33 s

La paresse intellectuelle

Serge Tremblay
Le 08 juin 2023 — Modifié à 10 h 32 min le 08 juin 2023
Par Serge Tremblay - Rédacteur en chef

Jasette de la gazette

Il n’y a pas à dire, la technologie est parfois franchement impressionnante. Je suis un peu en retard au party ChatGPT (une intelligence artificielle, ou IA), mais je l’ai essayé à différentes sauces et je dois dire qu’à certains égards, ça fait même un peu peur!

Je lui ai demandé de me pondre un alexandrin sur le thème de la surconsommation et en à peine quelques secondes, le voilà qui me déclame : « Les étals débordent de futilités vaines, le superflu règne en maître, notre âme se détraîne. »

J’aimerais avoir écrit ces lignes moi-même!

Bon, je lui ai aussi demandé de faire un peu de mathématiques statistiques et il s’est rapidement mêlé les pinceaux en me proposant des explications qui se contredisaient constamment. Une preuve, comme s’il en fallait une de plus, qu’il vaut toujours mieux s’asseoir et prendre le temps de réfléchir par soi-même.

Malgré ses lacunes, cette intelligence artificielle est ahurissante. Je n’ai pas de difficulté à comprendre la sonnette d’alarme qu’ont tirée bon nombre d’enseignants face à la possibilité très réelle que des étudiants aient recours à ChatGPT ou d’autres systèmes d’IA qui verront le jour pour faire le travail à leur place.

La loi du moindre effort ne laisse place à aucune ambiguïté : pourquoi me casser la tête si je peux simplement demander au système de me sortir la réponse toute faite? La seule compétence dont j’ai besoin est d’être efficace pour soumettre les bonnes directives dans les requêtes que j’envoie et le tour est joué.

Si les possibilités soulevées par le développement de l’IA peuvent être extraordinaires sous certains angles, il y a aussi le risque réel de nous abrutir collectivement en laissant le soin au système de réfléchir à notre place. Encore faut-il des gens intelligents pour mettre au point lesdits systèmes, direz-vous, mais ce genre de champ de recherche n’est déjà pas l’apanage du commun des mortels.

À certains égards, ça me fait penser à ma propre condition d’homme sans habiletés manuelles. C’est un savoir que possèdent mon père et mon beau-père, mais que je n’ai pas acquis parce que je n’en avais « pas besoin » pour fonctionner en société. Or, une sacrée chance que je les ai dans ma vie pour ce genre de tâches qui me dépassent.

Autrefois, tout le monde hormis une toute petite élite avait besoin de ce savoir-faire de base. La technologie a ensuite créé les conditions pour qu’émerge toute une classe de travailleurs plus « intellectuels ». Conséquence : on retrouve un nombre important de personnes qui, comme moi, ne savent pas trop par quel bout prendre le marteau (j’exagère à peine !).

Que nous restera-t-il lorsque même réfléchir ne sera plus d’une grande nécessité? On mettra nos vies sur le pilote automatique pendant que l’on consomme gaiement sans une once de réflexion ? La liberté deviendra vite illusion.

J’admets que cette chronique prend des airs de science-fiction de salon, mais il n’y a pas si longtemps encore, on nous promettait que la robotisation et la technologie allaient nous libérer des tâches rébarbatives et nous permettre d’avoir du temps pour nous adonner à des choses plus stimulantes.

Pourtant, ce que je vois, c’est une intelligence artificielle capable de faire de l’art en m’écrivant un alexandrin sur la surconsommation alors que des êtres humains continuent d’œuvrer dans des emplois de misère dans des conditions qui frôlent l’indigence.

Derrière le type de progrès technologique que l’on attend avec l’IA se cachent des questions éthiques très sérieuses. Malheureusement, en matière d’éthique, l’homme a une feuille de route plutôt cahoteuse. J’espère me tromper.


Chaque semaine, un membre de l’équipe de Trium Médias prend parole sur un sujet de son choix, c’est La Jasette de la gazette.

Abonnez-vous à nos infolettres

CONSULTEZ NOS ARCHIVES